D’où vient la lumière dans les rouges naturels de Bordeaux ? Altitude, exposition, et ce qu’on n’attend pas du vignoble bordelais

26 juillet 2025

La topographie bordelaise : plus diverse qu’on ne l’imagine

Bordeaux, c’est une toile de terroirs superposés, souvent résumés à tort en « grandes plaines fluviales ». Mais ceux qui observent en dehors des conventions découvrent la mosaïque de pentes, de coteaux, de plateaux — cette diversité où altitude et exposition jouent discrètement mais puissamment sur l’identité des rouges naturels.

Le saviez-vous ? L’altitude maximale à Bordeaux atteint autour de 135 mètres, à Castillon-la-Bataille ou sur les hauteurs de Sainte-Croix-du-Mont (source : CIVB). C’est modeste face à la montagne, mais suffisant ici pour creuser des écarts de température et de lumière remarquables, dont les vins naturels tirent des nuances inédites.

L’exposition, elle, oriente la vigne vers la course solaire. À Bordeaux, où l’ambiance atlantique ramène son lot d’humidité, chaque rang tourné vers le sud ou à l’abri d’un vent est un arbitrage climatique.

Effet de l’altitude : fraîcheur, tension, précision

À quelques mètres près, tout change : le rythme de la maturité, l’amplitude thermique, la vigueur de la vigne. Sur les flancs nord et est des côtes de Castillon ou de Francs, on croise des rouges naturels aux expressions tendues, quasi vibrantes. Pourquoi ?

  • Altitudes plus élevées : plus l’on grimpe, plus la température moyenne chute (environ 0,65 °C tous les 100 m, source : IFV). Cela ralentit la maturité, donc préserve l’acidité et concentre les arômes primaires, gages de fraîcheur.
  • Effet nocturne : la nuit, le refroidissement est accentué, sculptant des tanins plus souples et des fruits nets – ce que l’on retrouve dans certains vins naturels exempts de collage ou de filtration.
  • Drainage et santé des vignes : les pentes favorisent l’écoulement de l’eau, réduisant le risque de maladies cryptogamiques, un atout majeur pour un travail sans intrants.

Un vigneron bordelais nous racontait, au printemps 2023, que la différence de récolte entre le bas et le haut de sa parcelle de 50 mètres d’écart d’altitude pouvait atteindre une semaine, avec 0,5% d’écart de potentiel alcoolique à maturité.

L’exposition : soleil, lumière, et équilibres subtils de l’Atlantique

À Bordeaux, la lumière n’a rien d’un acquis – elle est recherchée, modulée, scénarisée. Les vignes les mieux orientées sud/sud-ouest, sur les coteaux de Fronsac ou du Haut-Benauge, captent le meilleur de l’ensoleillement, essentiel aux maturités phénoliques tardives recherchées en vin nature (Planète Vin). Mais rien n’est simple :

  • Expositions nord et est : dans un millésime chaud, ces versants deviennent un refuge : ils protègent les vins naturels de la surmaturité, favorisant des rouges juteux, légers sur le fruit, loin des bombes alcooleuses.
  • L’influence du fleuve : vignobles exposés à proximité de la Dordogne ou de la Garonne bénéficient d’une humidité régulatrice, mais aussi de brouillards matinaux – un défi maîtrisé par les vignerons naturels à force d’observation.
  • Brises et orientation : certains versants exposés au vent (notamment à Blaye et Bourg) sèchent plus vite après une pluie, condition précieuse pour se passer de traitements chimiques.

Sur plusieurs domaines emblématiques, comme celui de Fabien Jouves à Cahors (périphérie bordelaise), l’exposition choisie conditionne le type de vendange et l’expression aromatique : plus solaire pour les terres sud, plus florale et acidulée pour les terres ombrées.

Rouges naturels : quand la géographie donne la main au sans-soufre

Les rouges naturels, libérés des intrants et du bois neuf, laissent s’exprimer leur terroir sans filtre. Dans ce contexte, altitude et exposition prennent une importance démultipliée : elles deviennent les alliées ou les adversaires de la maîtrise microbiologique, de la gestion de la fraîcheur, de la délicatesse des tanins.

Les vignerons adeptes du « moins c’est plus » savent que les vignes d’altitude offrent :

  • Des raisins au pH plus bas (acidité naturelle préservée), rendant l’ajout de soufre souvent inutile
  • Des fermentations spontanées mieux maîtrisées, moins de déviations aromatiques (Source : Revue du Vin de France, spécial vins naturels 2023)
  • Un fruité éclatant, rarement masqué par la lourdeur d’un climat étouffant

Les expositions ombragées compensent, elles, les excès de certains millésimes 2018 ou 2022 marqués par la chaleur — les rouges naturels y conservent finesse, tension, et alcohol mesuré (12,5 à 13 % vol. dans certains cas contre 14,5 % sur les plaines sud).

Exemples de rouges naturels charismatiques, dictés par le relief

  • Château Francs-Bories, Francs Côtes de Bordeaux (110 m, expo nord-est) : Vin d’altitude, élevé sans sulfites ni barrique, fruit pur, tannins ciselés, acidité saline – un compagnon de table atypique pour la région.
  • Domaine Les Champs de la Dîme, Castillon (95 m, coteau sud) : Caractère solaire, texture soyeuse, ampleur fruitée, mais toujours une finale tendue, grâce aux nuits fraîches du plateau.
  • Vignoble du Bouc à L’Herbe, Entre-Deux-Mers (55 m, crête exposée aux vents) : Robe légère, nez vif sur la fraise des bois, bouche aérienne – l’influence du vent compense richement la générosité du terroir argilo-calcaire.

Chaque bouteille porte la signature d’un microclimat façonné par ses coordonnées exactes, et le vin naturel, parce qu’il ne triche pas, emmagasine ces signaux sans les lisser.

Le Bordeaux inattendu : l’innovation, portée par l’altitude et l’exposition

De jeunes vigneronnes et vignerons repoussent la géographie comme une chance à saisir : plantation sur anciens coteaux délaissés, gestion fine de l’enherbement pour minimiser le stress hydrique sur les expositions chaudes, palissage haut pour augmenter la surface foliaire sur les altitudes basses. La résilience induite par altitude et exposition prépare aussi Bordeaux au changement climatique déjà palpable.

Quelques constats tirés de millésimes récents (notamment 2019, 2020, source : Observatoire Climat du Vin - interprofession Bordeaux) :

  • Les rouges naturels issus de parcelles d’altitude et/ou expositions fraîches ont mieux résisté aux pics de chaleur (+2°C de plus qu’en 1990), conservant équilibre et baies en bonne santé
  • Ce sont eux aussi qui affichent des taux de SO2 quasi nuls, grâce à une acidité naturelle salvatrice contre l’oxydation

Les initiatives récentes voient aussi ressurgir des cépages oubliés parce que mieux adaptés aux expositions spécifiques, comme le Castets ou le Saint-Macaire, ramenant de nouvelles nuances aux rouges naturels.

Oser la différence : Bordeaux, les hauteurs oubliées et la promesse du vivant

Bordeaux tient encore trop de ses attentes « grands crus, grands volumes ». Mais la renaissance de ses flancs atypiques, grâce aux vignerons du naturel, pousse à reconsidérer la notion de qualité. L’altitude et l’exposition redeviennent des mots fondateurs plutôt qu’anecdotiques, redonnant aux vins rouges naturels leur chair de paysage, leur âme de lumière.

Entre la fraîcheur des pentes oubliées et la lumière des expositions choisies, ce Bordeaux-là entraîne le buveur à sa suite : là où la main de l’homme n’a rien ajouté que de l’écoute, et où le verre raconte la géographie, discrètement, fidèlement.

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