Quand le Vivant s’invite sur la Côte : Les Côtes de Bourg, une Terre Prometteuse pour le Vin Rouge Naturel

7 juillet 2025

Prélude : À l’ombre des grands noms, un secret bien gardé

En arrière-plan du faste des grandes appellations bordelaises, des terres silencieuses murmurent l’histoire d’une discrétion active : celle des Côtes de Bourg. Ici, sur la rive droite où la Dordogne hésite un instant avant de s’ouvrir vers l’estuaire de la Gironde, s’étend un territoire de 4 000 hectares, riche d’une diversité géologique et paysagère rare à Bordeaux (source : Syndicat des Côtes de Bourg). Longtemps considérées comme "la petite sœur", trop souvent résumées à leur rapport qualité/prix, les Côtes de Bourg laissent pousser, au détour d’un rang, une nouvelle espèce œnologique : le vin naturel.

Mais la nature du lieu épouse-t-elle vraiment cette audace viticole ? Ou la vigilance et l’inventivité des vigneron·nes restent-elles ses piliers ? Explorons ce terroir point par point, entre vérité du sol, choix de cépages, climat et inspirations humaines.

Quand le sol se fait complice : promesses géologiques des Côtes de Bourg

Sous le pied, l’aventure commence. Les Côtes de Bourg se distinguent par une mosaïque de sols :

  • Argiles lourdes, profondes, qui retiennent l’eau mais gardent leurs promesses en été sec.
  • Graves rouges, typiques dans la partie sud, favorisant le drainage et la maturité précoce des baies.
  • Calcaires à astéries et sables ferrugineux aux nuances subtiles.

La diversité de ces sous-sols offre une palette de maturités et de profils aromatiques ; une richesse précieuse, surtout en viticulture naturelle où l’on intervient peu sur la vigne et le moût. Au sein de Bordeaux, rares sont les terroirs aussi bigarrés sur une si petite aire !

Selon l’étude menée par l’IFV Bordeaux-Aquitaine (source), ce patchwork géologique diminue le risque sanitaire, allonge les dates de vendanges (ce qui permet de vendanger à pleine maturité plus facilement en agriculture biologique ou nature), et stimule la vie microbienne du sol, élément clé d’un vin vivant.

Climat, douceur et défi : quand la nature impose son rythme

Les Côtes de Bourg bénéficient d’une relative « bulle climatique », à la fois sous influence océanique tempérée et réchauffée par l'effet de la Gironde, ce qui protège des gelées printanières destructrices et archive, année après année, des raisins sains, souvent plus précoces que sur d’autres secteurs bordelais (source : Syndicat Côtes de Bourg).

Mais si la vigne apprécie ces douceurs, la pluie d’automne peut aussi compliquer la vendange tardive sans chimie, accentuant le risque de pourriture grise. Les vigneron·nes doivent donc veiller à une gestion fine de la canopée, à sélectionner avec soin les parcelles les mieux ventilées et drainées.

  • La précocité de certains secteurs (Graves rouges, coteaux bien exposés) offre cependant un atout pour ceux qui veulent cueillir tôt, sur la fraîcheur et la vivacité, qualités recherchées dans de nombreux vins naturels.

Cépages du vivant : il n’y a pas que le merlot

Même dans cette partie du Bordelais, Merlot règne sans partage : 70 % des plantations (Source :Vins Côtes). Mais la vérité du naturel, c’est souvent la diversité…

  • Le Malbec (localement appelé Côt), star des Côtes avant la crise phylloxérique, refait surface sur certaines parcelles. Vivace et peu sensible à la sécheresse, il donne des vins noirs et épicés, adaptés à une vinification sans SO.
  • Le Cabernet Franc, qui aime l’argile et apporte tension et fraîcheur, surtout sur les millésimes chauds.
  • Le Cabernet Sauvignon, planté sur graves, au potentiel tannique évident, mais qui demande maturité parfaite pour éviter l’austérité.

De jeunes vigneron·nes réhabilitent aussi des vieilles souches de cépages oubliés : Saint-Macaire, Castets, Bouchalès, retrouvés notamment dans certaines parcelles historiques et parfois dans des micro-cuvées (France 3).

Travailler sans intrants chimiques exige un raisin sain à maturité optimale : la diversité de cépages et la vigilance de chaque instant prennent ici toute leur importance.

Des femmes et des hommes : naissance d’une génération nature

Ce n’est pas le terroir seul qui fait le vin naturel, mais les mains qui l’accompagnent. Depuis le début des années 2010, plusieurs domaines s’aventurent (parfois dans la discrétion) sur la voie nature, cultivant à la main, vinifiant "sans filet" (pas de soufre, pas d’intrants, pas de filtrage).

Quelques noms qui bousculent les codes :

  • Château Falfas, précurseur en biodynamie dès les années 90, dont la cuvée Le Chevalier, sans soufre ajouté, allie classicisme et liberté (source : Château Falfas).
  • Le Domaine Dubernat, pionnier d’une viticulture paysanne extrême, ne sulfite jamais et privilégie des rendements très faibles — moins de 25 hL/ha certains millésimes.
  • De plus jeunes structures, parfois hors circuit "officiel", fleurissent sur les pentes, parfois issues de reconversions réussies d'agriculture biologique vers le naturel pur.

Les vins sont parfois irréguliers, surprenants, jamais standardisés : c’est le prix et le bonheur d’une aventure engagée.

Vinifications naturelles : défis et atouts de la Côte

Faire du vin rouge nature, c’est accepter la fragilité. Mais à Bourg, certains éléments du terroir facilitent l’acte :

  • Acidité naturelle préservée (surtout sur argile et coteaux frais), clef d’équilibre pour éviter les déviations microbiologiques en élevage sans soufre.
  • Riche vie microbienne des sols, garante d’une bonne fermentation et d’une expression géographique authentique (Ministère de l’Agriculture).
  • Polyphénols adaptés des vieux Malbecs ou Cabernets, qui stabilisent les jus pendant l’élevage.

Les défis restent nombreux :

  • Risque de réduction si la vendange manque de maturité ou que l’oxygénation est mal maîtrisée en cave ancienne.
  • Pressions de mildiou et d’oïdium, accentuées par des printemps humides, imposant parfois la perte d’une partie de la récolte si l’on refuse tout traitement de synthèse.

Pour réussir, les domaines s’entraident, échangent leurs levures indigènes, partagent des pratiques de macération courte ou semi-carbonique (parfois inspirées du Beaujolais nature).

Bourg, laboratoire du vivant : chiffres et évolutions

Quelques marques fortes :

  • Le nombre de domaines certifiés bio / naturels est en hausse continue depuis dix ans. On recense une quinzaine de vigneron·nes revendiquant une démarche naturelle dans l’appellation, dont au moins 7 officiellement en nature non filtré par rapport à une seule en 2013 (La Vigne 2023).
  • L’âge moyen des exploitants diminue : de plus en plus de trentenaires s’installent ou reprennent, souvent sans héritage, mais portés par la soif de liberté.
  • Le prix moyen des terres reste inférieur de 25 à 30 % à celui de la rive gauche ou de Saint-Émilion : cela permet à de jeunes projets alternatifs d’éclore.
  • Les vins naturels de Bourg trouvent leur public : les bars à vins de Bordeaux (notamment le Cave des Potes ou Le Flacon) mettent en avant ces cuvées radicales — une première dans la région il y a dix ans.

Un vin du futur, enraciné dans la tradition rurale

À travers les Côtes de Bourg, le vin naturel n’est pas une mode. C’est une réinvention, à la fois fidèle à l’histoire d’une viticulture populaire, paysanne, et injectée de la créativité de ceux et celles qui refusent la standardisation.

Les conditions pédoclimatiques, la diversité géologique, et le nouvel élan de la génération nature requalifient les Côtes de Bourg comme l’un des territoires bordelais les plus prometteurs pour le vin rouge naturel. C’est un territoire à conquérir – ou plutôt : à écouter, à respecter.

Le défi n’est pas tant de savoir si les Côtes de Bourg sont favorables au vin naturel, mais plutôt de savoir comment accompagner ce terroir vivant pour qu’il continue à surprendre sans trahir ses racines. Car ici, comme le rappelle un vieil adage du coteau : « On ne commande pas à la nature, on s’y tient prêt. »

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